Quand l’Art entre en soin

Culture et santé au cœur des pratiques

Donner à voir autrement les espaces de soin

Quand un·e artiste intervient en établissement de santé, le lieu lui-même devient support, matière à interroger. Les murs, les couloirs, les salles d’attente se transforment alors en territoires de création, et la présence artistique invite à regarder autrement. Dans un EHPAD, par exemple, un projet photographique peut redonner voix et visage aux résident·es autrement figé·es dans une routine. Une installation sonore, dans un service de soins palliatifs, peut transformer le rapport à l’attente, au silence, à l’écoute.

Ce n’est pas qu’affaire de forme ou d’esthétique. Il s’agit d’un travail de fond : déplacer les représentations, reconsidérer les usages, faire advenir une qualité d’attention au-delà du soin strictement médical. L’artiste n’est pas là pour divertir. Il ou elle questionne, accompagne, propose des détours sensibles dans des lieux trop souvent réduits à des fonctions.

Ce déplacement profite à toutes les personnes concernées par l’établissement : résident·es, patient·es, soignant·es, familles, agents d’entretien, personnel administratif. Le soin n’est pas cloisonné. Quand l’art entre dans un lieu, il agit en capillarité, touche sans distinction, ouvre à chacun une possibilité de ressenti ou de réflexion.

Présence artistique en milieu de soin pour interroger les usages et susciter une attention sensible au-delà du médical

Créer une relation non-thérapeutique dans un cadre thérapeutique

C’est là un des paradoxes les plus puissants du champ art et santé : dans des lieux où tout est balisé, normé, mesuré au nom du soin, l’artiste intervient sans objectif thérapeutique. Et pourtant, cette présence a un impact sur la qualité du lien, sur le ressenti des personnes, sur le climat général d’un service. Ce paradoxe est fécond : il autorise un autre rapport à soi, à l’autre, au temps.

Dans un EHPAD, par exemple, l’atelier artistique devient un temps d’exception dans la journée. Il ne vise ni la rééducation ni la stimulation cognitive, même si des effets peuvent apparaître. Il se situe ailleurs : dans le plaisir de faire, la valorisation d’une expression, le sentiment d’être à nouveau sujet de son geste. Ce n’est pas le soin qui agit, mais la création elle-même, en tant qu’elle fait appel à la sensibilité, à la mémoire, au désir d’échanger.

Il ne s’agit pas non plus d’une simple activité d’animation. Le projet artistique engage l’institution dans sa globalité. Il implique des conditions : respect du temps de création, reconnaissance du statut de l’artiste, inscription dans une temporalité adaptée à la structure. Il nécessite une médiation, un dialogue permanent entre les logiques soignantes et les logiques artistiques, pour que la rencontre soit véritable.

Intervention artistique en établissement de santé touchant tous les publics et ouvrant à la réflexion collective

Travailler avec les soignant·es sans instrumentaliser l’art

L’un des enjeux cruciaux de ces projets est de trouver une juste articulation avec les professionnel·les du soin. Il ne s’agit pas que l’artiste « soulage » les équipes, ni qu’il ou elle devienne un outil de plus dans la boîte à outils des établissements. Il s’agit, au contraire, de construire une relation basée sur la confiance, l’écoute mutuelle, la reconnaissance des rôles spécifiques de chacun.

Les équipes soignantes peuvent parfois se sentir démunies face à l’art, ne sachant pas quelle posture adopter. D’où l’importance d’un accompagnement, d’un cadre clair, d’une présentation fine du projet et des intentions. L’artiste, quant à lui ou elle, doit s’inscrire dans la réalité de la structure, en acceptant les contraintes, en s’adaptant sans se renier.

Des coordinations culture-santé, présentes dans chaque région, jouent un rôle essentiel pour faciliter ces dialogues, former les équipes, faire connaître les droits culturels en établissement. Elles permettent aussi de porter des projets sur la durée, au-delà de l’événement ponctuel, et de valoriser les expériences qui émergent sur le terrain.

Dans les EHPAD notamment, où le temps semble souvent figé, ces projets permettent d’amener du mouvement, de la surprise, du collectif. Ils contribuent à renforcer les liens entre résident·es et équipes, en créant des situations où chacun·e peut se sentir auteur, spectateur, ou simplement présent différemment.

Atelier artistique en EHPAD comme espace d’expression libre et de reconnexion sensible pour les résident·es

Faire reconnaître l’art en santé comme un levier de politique publique

Depuis les années 2000, les politiques culturelles et de santé publique ont commencé à se croiser davantage. Des appels à projets communs ont vu le jour, des chartes ont été signées, des dispositifs spécifiques ont émergé. Cette reconnaissance progressive reste cependant fragile, souvent dépendante des volontés locales, des personnes engagées sur le terrain, ou des financements disponibles.

Il est essentiel de sortir d’une logique d’expérimentation perpétuelle pour inscrire ces pratiques dans une stratégie plus large. L’art en santé ne devrait plus relever de l’exception, mais faire partie intégrante des politiques d’établissement, des projets de territoire, des orientations des ARS et des DRAC.

Les EHPAD, les hôpitaux, les centres de soins de suite sont autant de lieux où les droits culturels peuvent s’exercer, à condition d’y mettre les moyens. Cela implique de penser la place des artistes dans ces environnements, de rémunérer correctement leur travail, de reconnaître la valeur immatérielle mais réelle de leur présence.

Faire entrer l’art dans les lieux de soin, ce n’est pas nier la réalité du soin médical. C’est, au contraire, affirmer que la santé humaine ne se limite pas au corps. C’est rappeler que les émotions, les récits, les imaginaires, ont leur place dans l’accompagnement des personnes. C’est reconnaître que la beauté, l’écoute, le partage, peuvent aussi faire œuvre de soin.

Sur ce blog, je continuerai à partager, avec rigueur et sensibilité, les avancées, les débats, les ressources utiles pour toutes celles et ceux qui, comme moi, croient qu’un dessin, un mot, un geste artistique peuvent transformer un peu le monde – même entre quatre murs, même dans le silence d’un couloir d’EHPAD.

Collaboration entre artistes et soignant·es en établissement, fondée sur la confiance et la reconnaissance des rôles de chacun